De nouvelles en nouvelles
Question littérature, les éditeurs, la presse et l’opinion établissent parfois de curieuses et bien discutables hiérarchies. Ainsi du genre de la nouvelle que l’on considère, à tort, comme secondaire et mineur. Je me souviens, lorsque le Nobel a été attribué à Alice Munro, de certains qui l’ont présentée en disant qu’elle n’avait écrit « que » des nouvelles, laissant entendre ainsi un manque, un déficit. On ne devrait écrire des nouvelles, mais voyons… « que » pour passer à un genre plus sérieux, plus abouti, plus achevé comme le roman. Et pourtant, pour celui qui écrit des nouvelles, quelle exigence ! Un nouvelliste est à la recherche du mot juste ; ses textes sont taillés comme des coups de serpe et la conduite du récit revient à suivre un chemin escarpé comme sur le fil acéré d’une ligne de crête. Il sait encore, en quelques lignes, créer une atmosphère, « fignoler » un récit dense vers une « chute » surprenante parfois. Parmi les nouvellistes français, Serge Cazenave tient une place de choix. Il n’écrit « que » des nouvelles et en est passé « maître ». Il en compte une centaine, une bonne partie d’entre elles a été publiée chez la jeune et inventive maison d’éditions de l’Abat-Jour à Bordeaux.
Chez lui, on assiste à l’irruption du bizarre, la rencontre avec l’étrange et la survenue de la surprise. De nouvelles en nouvelles, il creuse son univers, approfondit ses thèmes ou ses obsessions et poursuit, mine de rien, une quête de la « comédie humaine ». Au cœur de ses histoires, tout gravite souvent autour de personnages en apparence banals, fades, « Monsieur et Madame tout le monde », mais que l’on découvre comme des êtres perdus, des marginaux, des cabossés de la vie. Ils connaissent pour la plupart une fragilité intérieure, ce sont des solitaires, ils savent ce que c’est que le doute. Ils n’ont souvent rien demandé mais ils vont se heurter au monde des autres, eux qui ne doutent de rien, avec toutes sortes de « dégâts collatéraux » comme disent les militaires. Le bel ordonnancement du monde bascule immanquablement à un moment donné. Et tout chavire, à la fois pour eux ou pour ceux qui les côtoient. Avec de tels personnages, on dirait des chiens dans un jeu de quilles. Ces égarés peuvent se voir « moqués » ou qualifié d’« exaltés » et ils se retrouvent au cœur d’embrouilles, ou mieux encore, être eux-mêmes à l’origine d’étranges manigances ou d’étonnants esclandres.
Dans ces onze nouvelles du recueil Aller où ?, qu’on se plaît à suivre, toutes sortes d’affects surgissent en nous, amusement, émotions, empathie, étonnement, voire effarement… Une nouvelle carte non pas du Tendre mais de l’Errance pourrait être proposée par Serge Cazenave, ce géographe de l’âme humaine où nous voyons ses personnages tâtonner entre le lac d’Indifférence et la mer d’Inimitié, allant tout droit vers la mer Dangereuse ou encore « les quarantièmes rugissants de la raison humaine » (expression d’un de ses personnages).
Chez lui, on aime également l’art de conduire un récit. On débute la lecture d’une nouvelle et irrémédiablement nous sommes pris par l’histoire même la plus tenue possible, par exemple le partage d’un gâteau en famille, le départ d’un groupe en co-voiturage ou encore une compétition régionale de métiers d’art. On suit alors le fil de l’intrigue, des parenthèses sont ouvertes, souvent des analepses, puis à un moment donné les choses commencent à déraper. Le fil du quotidien se brise comme un point d’inflexion et s’aventure vers du surprenant et de l’impensable. Le lecteur se voit ainsi mené par le bout du nez. On sait d’ailleurs que Serge Cazenave cultive un autre talent, celui de lire ses textes à voix haute, avec densité, fluidité et justesse du ton. C’est la marque d’un auteur où l’écriture est travaillée et approfondie, celle d’un authentique styliste qui sait nous capter dans les fils de son écriture. Une écriture que Serge Cazenave présente comme étroitement liée à la vie. Elles se font écho, l’une et l’autre étant faites de tâtonnements, d’hésitations et d’inquiétudes. Ainsi cette étonnante réflexion dans la bouche d’un personnage :
« Une vie. Quelle en sera la chute ? Tout est là ! C’est elle qu’il ne faut pas rater. La cohérence d’une vie sans réel éclat n’a de sens aux yeux du monde que si sa fin est flamboyante. Inattendue. Comme dans les livres. Qui pense encore que les écrivains élaborent des plans avant de s’épancher sur leurs feuilles ? Scolaire représentation ! Non, les auteurs accumulent des situations, des pensées, des fulgurances, et quand leur rame de papier est épuisée, que leur cerveau est vidé, qu’ils n’ont plus rien à voler, alors, à cet instant, et à cet instant seulement, réalisant où leur inspiration les a menés, ils se mettent à classer leur fourbi pour donner corps à leur histoire. La chute viendra d’elle-même. Elle suinte de l’amalgame. J’ai suffisamment lu pour en avoir la certitude ».
Charles Duttine.
Fini hier le très chouette bouquin de Serge Cazenave-Sarkis, "Aller où", publié par l'excellente maison de l'Abat-Jour, dans la collection Lumen. Beaucoup d'ironie, de complicité un peu vache avec les personnages, une curiosité aigue, un regard acide, mais qui n'exclue pas une certaine tendresse. Des tableaux qui expriment, dans une langue élégante et pleine d'esprit, une vision presque d'entomologiste de la société humaine.
Nicolas Liau.
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"Lu le dernier opus du Grand Cierge ! Jusqu’au bout ! Non que ce soit dur de ne pas lâcher Avant terme, mais il y a tant d’Amis imparfaits livresques qui tombent des mains… Cet ami-là est intéressant, instruit, versatile, riche en surprises, et -suprême qualité ! - : drôle. Il parle une langue à la fois précise et délurée, avec des mots de tous registres et niveaux qui tombent et sonnent juste. J’ai été porté par l’écriture comme par un air baroque plein de variations ou comme par une promenade dans un paysage dénivelé et vallonné, offrant tantôt des perspectives pittoresques, tantôt des à pics inquiétants. Les personnages eux-mêmes portent ces reliefs accidentés, depuis le plus ludique (une Disparition) au plus tragique (l’Exalté). On sent que l’auteur observe, connaît et aime l’animal humain, en tant qu’individu, sinon espèce. Il l’aime d’un amour maltraitant, comme un expérimentateur qui étudierait le comportement et le caractère de ces congénères, avec une distance clinique, et parfois, poussant encore plus loin , sa libido sciendi, voire dominandi, ce sadique est capable de se faire vivisectionniste…" Sébastien Chagny.
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"J’ai beaucoup aimé votre livre, Serge. On y trouve toute une comédie humaine sous la forme de vos onze tableaux, je dirais presque des miniatures tant la finesse du trait réjouit l’œil et tant l’acuité de l’observation sociale porte loin. Ce « loin-là », chacun des « Moi seul » qui tient le fil de chaque nouvelle nous y mène avec l’opiniâtre instinct du déboussolé, ou du trop-éclairé, se détachant du « Eux tous » qui fait le fond de la toile, crevant cette toile, et l’on se laisse mener, c’est-à-dire dérouter par ce gars-là et par vos excellentes phrases, jusqu’à un au-delà joyeusement effarant de notre monde engoncé dans ses codes. Une belle aventure !" Bénédicte Fayet.
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"J’ai lu plusieurs ouvrages de cet auteur novelliste et ce dernier recueil est toujours aussi fourni et agréable que les autres.
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